Cet article explore les effets de l’amorce d’un nouvel ordre infrastructurel sur les vies citadines liées au transport artisanal à Abidjan. Il vise à comprendre ce que signifie restructurer un ensemble d’acteurs et de lieux qui, pris ensemble, constituent plus qu’un secteur économique ou un service urbain, mais un milieu d’ancrage et de circulation des vies précaires en ville. À l’aide de la métaphore du milieu empruntée à M. Foucault, l’objectif de l’article réside dans l’examen d’une technique de gouvernement consistant à intervenir sur un espace donné pour infléchir des circulations existantes (de normes, de personnes, d’objets). Cette approche offre un double questionnement de recherche : à quelles conditions une norme institutionnelle vient-elle concurrencer, infléchir ou invisibiliser un ensemble de normes déjà existantes au sein d’un milieu ? Que touche-t-on à distance, quels équilibres risque-t-on de bouleverser, que laisse-t-on de côté et à quelles échelles, lorsqu’un nouvel ordre infrastructurel s’immisce dans un milieu existant ? Pour répondre à ces questions, nous avons mené une enquête de terrain en avril 2023, en nous concentrant sur une petite ligne de gbaka (minibus) dans la commune populaire de Yopougon, selon une démarche qualitative. Depuis janvier 2022, l’AMUGA expérimente sur cette ligne la mise en place d’arrêts-minute afin de mettre fin à des usages jugés désordonnés en vue de l’arrivée du Bus Rapid Transit (BRT) Yopougon-Bingerville. Les changements en cours font de cette ligne un observatoire singulier d’une tentative de gouvernement à distance lorsqu’un nouvel ordre s’immisce dans un milieu.