Les services publics d'eau en Grande-Bretagne et en Allemagne : origine commune, trajectoires différentes

L'eau urbaine en Europe et en Amérique du Nord  : origines et développements
Par Bernard Barraqué, R. Andreas Kraemer
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Aujourd’hui, les services d’eau et d’assainissement sont organisés de façon très différente en Grande-Bretagne et en Allemagne : régionalisation et privatisation d’un côté, entreprises municipales chargées de fournir plusieurs services publics de l’autre. Mais les villes des deux pays ont au départ partagé la même expérience, ne serait-ce qu’à cause du rôle de premier plan joué par les ingénieurs de l’eau britanniques dans le concept de réseau étanche fournissant de l’eau traitée.
Les réseaux d’eau se sont multipliés plus tôt en Grande-Bretagne que sur le continent, grâce à l’initiative de sociétés privées qui pompaient leur eau à proximité par le moyen des nouvelles machines à vapeur. Dès le XVIIe siècle, le Parlement leur accorda parfois un monopole. Mais dans la deuxième moitié du XIXe siècle, ces sociétés furent rachetées par les collectivités locales ou supplantées par des régies directes. Le gouvernement et les bourgeoisies industrielles s’étaient rangés à cette solution pour des raisons de santé publique et de bien-être. Pourtant dès la crise économique de 1929, le gouvernement britannique conduisit une politique de reprise en mains du welfare et de réorganisation des services publics à une échelle régionale ; dans le domaine de l’eau, cela a abouti à concentrer la gestion des ressources et des services publics à la fois à l’échelle de dix autorités régionales de rivières regroupant des bassins versants. Et, quinze ans plus tard, la privatisation de la partie services d’eau et d’assainissement s’est accompagnée d’une centralisation accrue de la planification des ressources et de la régulation des usages.
En Allemagne, Berlin fait figure d’exception puisque l’Empereur passa outre l’opposition du conseil de la ville et imposa une entreprise privée, cotée à la bourse de Londres. Toutes les autres villes optèrent directement pour une gestion publique, appuyée sur la préférence pour les eaux souterraines ou la filtration par les berges. La disponibilité de cette ressource, a contrario du cas britannique, favorisait le maintien d’une gestion locale. Mais le pragmatisme allemand s’est vite traduit pas une autonomisation des services en réseau par rapport au budget général, puis par la création d’entreprises privées à capitaux entièrement publics, auxquelles on a confié plusieurs services publics : l’eau, le gaz, l’électricité, les réseaux de chaleur et les transports urbains... Ces entreprises municipales ont dans l’ensemble résisté à la centralisation et à la privatisation, et leur modèle a même été imposé aux nouveaux Länder de l’Est après la réunification.
En définitive, on peut souligner le contraste des deux expériences issues du débat public-privé qui ont abouti à la centralisation dans une Grande-Bretagne libérale d’un côté et au maintien du principe de subsidiarité en Allemagne de l’autre. Une discussion en fin d’article propose quelques pistes d’explication.

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