La construction territoriale de l'indépendance : réseaux et souveraineté en Asie centrale post-soviétique
Résumé
Au moment de leur indépendance en 1991, les États d’Asie centrale post-soviétique (Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Turkménistan) ont hérité d’espaces nationaux enclavés, émiettés, compartimentés et imbriqués, c’est-à-dire d’une assise territoriale mal appropriée à leur statut inédit d’état souverain. Dans le contexte de la transition géopolitique post-soviétique, le manque de cohésion, l’interdépendance fonctionnelle et l’enclavement des espaces nationaux ont menacé la viabilité et la souveraineté des pays centre-asiatiques. Devant les contraintes politiques, économiques et sociales induites par cette configuration spatiale, la politique de consolidation étatique menée par les autorités post-soviétiques comprend un important volet territorial. La politique d’aménagement du territoire repose non seulement sur la fonctionnalisation des frontières et la valorisation des lieux du pouvoir mais également sur le remodelage des réseaux de transports (routier, ferroviaire, aérien), action dont les autorités attendent des effets spatiaux, politiques et symboliques. A l’échelle républicaine, il s’agit d’adapter les réseaux aux frontières, en élevant leur connexité et leur connectivité, dans la perspective d’unifier les espaces nationaux et de limiter l’interdépendance produite par la politique d’aménagement soviétique. Dans le même temps, à l’échelle internationale, la construction d’axes de désenclavement alternatifs et la réorientation du réseau aérien permettent l’insertion des républiques d’Asie centrale dans l’espace eurasiatique et modifient les mécanismes de domination au sein du champ géopolitique régional. En contribuant à la résolution de l’enclavement, ces modalités d’ajustement du treillage au maillage réduisent les contraintes qui affectent la viabilité des États centre-asiatiques. Par-delà la transformation de l’organisation de l’espace, la construction des réseaux participe également du dispositif sémiotique développé pour affirmer la légitimité, la souveraineté et la centralité des Etats d’Asie centrale post-soviétique.